Du luxe à la durabilité : pourquoi cirer ses souliers redevient tendance ?

AuteurPar la rédaction
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Un marché qui reluit de nouveau

Porté par le regain d’intérêt pour les pièces qui durent, le secteur mondial du soin de la chaussure est passé d’environ quatre virgule six milliards de dollars en deux mille vingt-quatre à près de quatre virgule huit milliards annoncés pour deux mille vingt-cinq, soit une croissance annuelle de plus de 5%.

À l’intérieur de ce secteur, le seul créneau vernis-cirage pèse déjà un peu plus de 1,7 milliard de dollars en 2025 et devrait atteindre la barre symbolique des 2 milliards avant la fin de la décennie. Surtout, la montée en gamme dite « premiumisation » devrait ajouter environ 280 millions de valeur entre 2025 et 2029, soit un rythme deux fois supérieur à la progression générale du marché.

Cette dynamique chiffrée se double d’une visibilité médiatique : ballerines laquées Chanel ou sandales dorées ultra-polies vues à la Semaine de la Couture parisienne rappellent que le cuir brillant est redevenu un statement stylistique fort. Résultat ? Loin d’être un geste poussiéreux et has-been, le cirage s’impose comme un marqueur de modernité, à la fois conscient et sophistiqué.

Pourquoi la brillance revient-elle ?

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Premièrement, la pandémie de COVID a popularisé le « versneakering », cette habitude néerlandaise de porter des baskets au bureau : la moitié des magasins de souliers classiques y ont fermé entre 2020 et 2024.

Dans ce paysage saturé de sneakers, afficher un cuir glacé devient un signe distinctif d’élégance raisonnée. Parallèlement, la recherche Google pour l’expression « shoe polish tutorial » a progressé d’environ trente pour cent en 5 ans (2020 à 2025), montrant que les néophytes s’initient eux-mêmes à la pratique.

Enfin, l’essor du e-commerce de luxe a démultiplié l’accès à des kits haut de gamme autrefois réservés aux bottiers.

Luxe et narration patrimoniale : l’exemple Chanel

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La maison Chanel explique que le secret d’une paire intemporelle tient à un soin régulier : éviter les fortes chaleurs, tamponner le cuir mouillé avec un chiffon non pelucheux et appliquer une fine couche de crème neutre avant un léger lustrage. Cette pédagogie s’inscrit dans la stratégie de circularité de la griffe, qui encourage la transmission des pièces « de génération en génération ».

Le cirage devient alors un rituel émotionnel : il protège la matière mais surtout prolonge le récit de l’objet, au même titre qu’un service de joaillerie qui ravive l’éclat d’un bijou de famille dont on hérite.

Virage vert : la planète dans la boîte de cirage

Si les formulations traditionnelles reposaient sur des solvants pétro-sourcés, la nouvelle vague cirage se veut propre et traçable.

Pure Polish, atelier artisanal de l’Oregon, fabrique des cires à base d’huiles de noix, pigments minéraux et argiles, sans aucun composé volatile : l’effet miroir obtenu rivalise avec les marques conventionnelles.

En Allemagne, Pedag commercialise une mousse nettoyante sans PFC, biodégradable à 98% et compatible cuir, textile ou synthétique.

L’espagnol Tarrago propose de son côté une pâte à l’eau mêlant cire d’abeille et carnauba, autorisée en cabine d’avion grâce à l’absence de solvants.

Pour qui souhaite se procurer facilement un kit complet, les produits d’entretien pour chaussure disponibles en ligne offrent un éventail allant des crèmes nourrissantes aux brosses spécialisées.

Cette transition trouve un écho dans le marché élargi du « sustainable footwear », estimé à environ 8,5 milliards de dollars en 2023 et attendu à près de treize milliards en 2030, soit plus de 6% de croissance annuelle. Preuve que les consommateurs connectent désormais l’éclat d’un soulier à l’éthique de sa composition.

Focus rapide sur trois références vertes

Pure Polish : Formule 100% naturelle, miroir sans solvants

Pedag Cleansing Mousse : Nettoyage multi-matières, biodégradabilité record

Tarrago Premium : Base aqueuse, cire d’abeille nourrissante, transport facile

DIY vs professionnel

La méthode « Soldier » consiste à brosser vigoureusement, charger le cuir de pâte nourrissante Saphir, laisser reposer un quart d’heure puis glacer au chiffon humide jusqu’à obtenir un reflet quasi métallique. Elle est prisée des militaires pour l’inspection des uniformes.

La variante « Parisian » préconisée par l’expert Kirby Allison démarre par un décapage léger à la cire neutre, suivi d’une couche protectrice de cire jaune, puis se conclut par un polissage pigmenté pour saturer la profondeur chromatique en trois passes successives, chacune plus rapide que la précédente.

Entre deux séances, des astuces grand-mère : frotter le cuir avec la face intérieure d’une peau de banane ou finir le lustrage au collant nylon redonnent de la brillance (mais n’apportent ni nutrition ni protection hydrophobe).

Quand confier ses souliers à un maître-bottier ?

Un glaçage « miroir haute joaillerie » réclame jusqu’à quarante-cinq minutes par chaussure ; il s’avère précieux pour les derbies de mariage, les mocassins iconiques d’une collection ou toute paire en cuir cordovan dont la fibre dense exige un travail patient.

Les ateliers spécialisés appliquent souvent une combinaison de cire colorée et de cire dure incolore afin d’obtenir l’effet miroir sans altérer la teinte d’origine.

Services et automatisation

Au-delà du rituel domestique, des machines lustrantes envahissent les halls d’hôtels et les salons d’aéroport. Le marché mondial de ces appareils devrait dépasser les 90 millions 2030, soit plus de 6% de croissance annuelle. Pour le voyageur d’affaires, glisser la chaussure sous une brosse automatique avant un rendez-vous remplace avantageusement les kits jetables autrefois distribués.

Pour les marques hôtelières, c’est un service à forte valeur perçue ; pour les fabricants, un débouché qui catalyse l’innovation (capteurs infrarouge, dosage automatique de cire, brosses interchangeables).

Cirage, slow fashion et identité

Un cuir bien nourri résiste mieux à l’humidité, se craquelle moins et conserve plus longtemps sa forme ; de quoi repousser l’achat d’une paire neuve et réduire l’empreinte carbone liée à la fabrication. Selon Grand View Research, plus de 60% es acheteurs de chaussures premium se disent prêts à payer un supplément pour un entretien garanti et traçable. Le cirage devient ainsi un signe extérieur de soin de soi : premier détail que l’on remarque dans un entretien d’embauche, il matérialise la rigueur autant que le goût.

Culturellement, la brillance confère aussi un capital-sympathie : elle évoque la tradition des porteurs de journaux new-yorkais des années trente, l’élégance italienne façon Cinecittà, ou la flamboyance des mocassins vernis du Studio 54.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux relaient des vidéos ASMR de glaçage dépassant parfois le million de vues, preuve que le spectacle du cirage fascine encore les nouvelles générations.

Perspectives : entre innovation et héritage

Les fabricants planchent sur des cires solides « sans eau » à base d’huiles d’algues ou de cire de riz afin d’éliminer totalement les solvants, tandis que des start-up testent des cartouches rechargeables pour réduire le plastique à usage unique.

Dans le même temps, des labels patrimoniaux comme Berluti revisitent la patine au pouce en proposant des ateliers en boutique pour initier les clients à l’art du glaçage. Enfin, la tendance à la personnalisation se traduit par des kits modulaires où l’on choisit la couleur de cire, le parfum (huiles essentielles de cèdre, bergamote, fève tonka...) et même le motif gravé sur la brosse.

Entre chiffres robustes, désir de durabilité et fascination pour la brillance, le cirage s’impose comme un geste-pivot : il prolonge la vie des souliers, raconte une histoire de luxe responsable et signe une identité soignée. Qu’il prenne la forme d’un rituel DIY à la maison, d’un passage chez l’artisan ou d’un service express automatisé, il incarne la synthèse parfaite entre héritage et innovation, prouvant qu’en 2025 la mode la plus pointue peut briller… sans s’essouffler.